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la folle aux chats...
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27 janvier 2016

un caprice pour les jours pluvieux.

Ce monde sexiste m'épuise.
(...) En terme de pédagogie j’ai tout sorti, j’ai appris les chiffres, les statistiques, j’ai expliqué la culture du viol à des violeurs qui s’ignoraient encore, convaincus d’avoir donné à cette « salope », ivre jusqu’à l’inconscience, ce qu’elle voulait. J’ai aussi pris le risque de me fâcher avec des proches pour garder le droit d’enfiler mes shorts courts.
Aujourd’hui je veux que l’exigence de pédagogie change de camp.

(...) Je veux qu’on m’explique pourquoi il est normal que des gamines de 14 ans, pour supporter les changements de la puberté et calmer leurs angoisses et leur mal-être, se réfugient en masse dans un idéal impossible à atteindre d’esthétique parfaite, et s’affament à en prendre le risque de mourir.

(...) Je veux qu’on m’explique pourquoi la majorité des femmes de mon entourage a été victime d’une agression sexuelle et/ou de viol, sans que la société ne se soit remise en cause une seule seconde.
Je veux qu’on m’explique pourquoi je suis d’abord un objet sexuel, et ensuite seulement une citoyenne payant ses impôts ; pourquoi, bien que diplômée des meilleurs cursus, j’ai statistiquement toutes les chances d’être moins payée qu’un homme, et pourquoi ce constat qui serait considéré comme une preuve de racisme ailleurs est réduit ici au simple phénomène de société, un marronnier pour la « journée de la femme ».

(...) Je ne supporte plus de m’excuser lorsque je tente d’expliquer une théorie féministe qui prend plus de deux minutes à être développée, et que l’on m’éjecte de la discussion d’un revers de la main, parce que c’est barbant le féminisme, et que de toute façon elles ont déjà gagné.

(...) J’en ai marre de dire « désolée » lorsque je rembarre un gros con qui m’accoste dans la rue, et ce depuis que j’ai quatorze ans — et souvent ce sont des hommes plus vieux que moi. J’en ai marre de culpabiliser par rapport à mon petit ami lorsque je m’habille avec soin, comme si je n’avais pas confiance en mes propres intentions, comme si j’étais une traînée sans le savoir.

Je regrette de m’être excusée le jour où ce prof m’a demandé de ne pas découvrir mes épaules en cours alors que j’étais dans une université publique. J’en ai marre de m’excuser parce qu’étant bourgeoise, je suis censée être déjà comblée par l’argent, quand bien même mes droits politiques et sociétaux sont niés.

Aujourd’hui je veux que les excuses changent de camp.

(...) Je veux que les publicitaires s’excusent de promouvoir un idéal morbide dont les conséquences sont concrètes et meurtrières.
Je veux que les politiques s’excusent de traiter la cause de 52% de la population française comme une cause « accessoire ».
Je veux que les entreprises s’excusent d’estimer que nous valons moins qu’un homme.

Je veux que les créatifs, dessinateurs, concepteurs de jeux vidéo et autre réalisateurs s’excusent de manquer d’imagination pour nous offrir des personnages féminins à la mesure de notre potentiel, et qu’ils s’excusent de se livrer à leur paresse intellectuelle.

Je veux que l’Éducation Nationale s’excuse de traiter l’Histoire uniquement à travers le prisme des grands hommes comme si aucune femme, en 3000 ans, n’avait jamais rien accompli, comme si elles avaient subitement appris à compter et à écrire avec Marie Curie et Simone De Beauvoir, et tout cela par fainéantise intellectuelle face à la tâche qu’une telle révision des programmes représenterait.

(...) J’en ai marre d’attendre le grand jour où enfin une femme sera un citoyen comme un autre, et où des femmes incompétentes pourront être PDG, à la même mesure que les hommes incompétents qui pullulent dans les hautes sphères.

J’en ai marre d’attendre qu’un jour, subitement, les femmes politiques n’aient plus à s’entendre poser des questions sur leur coiffure et la marque de leurs tailleurs ; j’en ai marre d’attendre que l’égalité hommes-femmes tombe du ciel comme un cadeau des élites masculines décidément trop généreuses, un peu comme le droit de vote qu’on a bien fini par nous octroyer.

J’en ai marre d’attendre dans la position de celle qui réclame, comme si l’égalité était un caprice pour les jours pluvieux.

(...) Et puis j’ai pris conscience du caractère implacable de la rhétorique actuelle qui nous enferme comme dans un piège à loups : si j’avais fais part de mon coup de gueule ailleurs que sur madmoiZelle, je serais passée du statut de la cruche sans idées à l’hystérique.

Mes arguments seraient devenus la preuve de mon irrationalité toute féminine quand tant de personnalités masculines sont connues pour leurs coups de gueules, quand en politique la fermeté et la rage peuvent être des qualités de grand chef sachant donner de la voix.

Une femme qui crie pour l’égalité politique et sociale n’est pas légitime, ou alors il faut qu’elle soit vraiment très pauvre ou un peu malade, quelque chose qui attire la pitié quoi, alors qu’un homme qui crie pour l’égalité politique et sociale est un héros courageux et brave.

Nous sommes piégées : se taire ou leur donner raison. Alors je m’explique, alors je m’excuse, alors j’attends.

En espérant que mes nièces et mes filles n’aient pas demain à s’expliquer, à s’excuser, à attendre.

Texte de Mircéa Austen (via madmoiZelle.com)
Photo: Sebastian Bieniek, Double face.
Merci Anne.

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